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★★★☆☆ Nana


Christian-Jaque / 1954 / France-Italie

Avec : Charles Boyer (le comte Muffat), Martine Carol (Anna Coupeau, dite Nana), Walter Chiari [voix de Robert Lamoureux] (Fontan), Paul Frankeur (Bordenave, le directeur des Variétés), Elisa Cegani (la comtesse Sabine Muffat), Jean Debucourt (Napoléon III), Marguerite Pierry (Zoé, la camériste), Dario Michaelis (Fauchery, le journaliste), Dora Doll (Rose Mignon), Pierre Palau (Théophile Venot), Luisella Boni (Estelle Muffat), Jacqueline Plessis (l’impératrice Eugénie), Jacques Castelot (le duc de Vandeuvres), Noël Roquevert (Steiner), Germaine Kerjean (La Tricon), Nerio Bernardi (le prince de Sardaigne), Jacques Tarride (Auguste Mignon), Nicole Riche (Marguerite Bellanger), Fernand Gilbert (M. Maillochon, le boucher), Marcel Loche (le chef-huissier), Odette Barencey (Hortense, la vieille habilleuse), Marcel Charvey (le charbonnier), Pierre Leproux (le boulanger), Lucien Desagneaux (Edmond, maître d’hôtel), Pierre Duncan (un déménageur), Marcel Rouzé (Justin, maître d’hôtel), Daniel Ceccaldi (le lieutenant Philippe Hugon), Paul Amiot (le commissaire), Charles Lemontier (le vétérinaire), Charles Bayard, Anne Carrère, Denise Carvenne, Yvonne Constant, André Dalibert, Pierre Flourens, Grégoire Gromoff, Jean Harold, Daniel Mendaille, Frank Maurice, Max Montavon (?).


Piste intéressante soulevée par le sagace Paul Vecchiali : Christian-Jaque eût bien mieux inspiré de distribuer le rôle-titre à Magali Noël, étoile montante, plutôt qu’à Martine Carol, dans les grandes lignes le personnage imaginé par Zola, mais avec dix-sept ou dix-huit ans de trop (ça commence à chiffrer), par ailleurs prévisible et appliquée de bout en bout. Jouant Nana exactement comme elle a joué Caroline (de Bièvre), Lucrèce (Borgia) et Jeanne (du Barry) : dans ses marques et sans rien proposer quoi que ce soit de neuf, que ce soit par rapport à ces précédents emplois ou tout au long de ce nouvel opus. Établi une bonne fois pour toute, le côté « bonne fille » impulsive et teigneuse du personnage ressort, décliné à l’identique séquence après séquence, sans jamais atteindre la complexité – et encore moins laisser deviner les failles – de l’héroïne du roman. Prisonnier d’un lourd cahier des charges, Christian-Jaque semble osciller en permanence entre la volonté de filmer sa femme et tirer le meilleur partie de ses décors. Force est de reconnaître qu’il s’y perd un peu. D’écriture, pas beaucoup ou peu s’en faut : n’est pas Ophuls qui veut, d’ailleurs, le public des cinématographiquement fadasses années 1950 ne se montrera pas si regardant, qui fera un triomphe à Lucrèce Borgia, Madame du Barry et Nana, mais boudera – fâcheux malentendu – Lola Montès. Le contraire eût certes mieux valu.


Restent, mais de manière extrêmement ponctuelle, de vrais, de beaux, de solides moments de cinéma : les gros plans sur Elisa Cegani bafouée, humiliée mais verrouillant ses émotions comme personne, la fuite de Marguerite Pierry pressentant le drame dans le grand escalier, trois minutes avant la fin, l’utilisation du même escalier dans la séquence précédant la mort de Nana, mais que vient contrebalancer – hélas – le ridicule consommé avec lequel est mise en images la strangulation. À la limite, il n’est pas très grave que Christian-Jaque et Jeanson aient dénaturé du début à la fin le roman que l’on sait, zappé sa composante saphique, imaginé que Nana ait pu à moment donné se croire réellement amoureuse de Muffat, puis de Vandeuvres. Mais parachever deux heures de trahison constante et admise en filmant comme elle est filmée la mort de l’héroïne relève du crime. Pour mieux situer les choses, on écrira simplement qu’en comparaison Marion Cotillard n’est pas du tout grotesque – en tout cas au prisme de Nana réinventé par Christian-Jaque – à la toute fin de The Dark Night Rises.


Malgré ses défauts plus qu’apparents, à la hauteur du confortable budget mis à la disposition de Christian-Jaque par ses producteurs (donc énormes), Nana est loin de constituer un film déplaisant. L’ensemble doit beaucoup à la troupe réunie autour de Martine Carol, dont chaque membre, pris séparément, mérite de vigoureux éloges. Boyer, sauf peut-être dans la séquence finale, exagérément surjouée, alterne avec adresse et profondeur les moments de dignité et de lâcher-prise, conférant pour le coup au personnage de Muffat la profondeur qui fait souvent défaut au film pris dans son ensemble. Acide et madrée à souhait, l’irremplaçable Marguerite Pierry, en cinq ou six séquences contrastées, refait sans en avoir l’air, la preuve du génie cinématographique à l’état pur qui constitue sa marque de fabrique depuis un quart de siècle. Un (léger) degré en dessous, Castelot se montre particulièrement touchant, Odette Barencey – incompréhensiblement omise au générique – et Palau témoignent l’une et l’autre d’un naturel à tout épreuve, Dora Doll, Paul Frankeur, Noël Roquevert se réapproprient avec aisance, mais sans la moindre fioriture, les personnages tels que Zola les fit naître sur le papier. La distribution transalpine, en revanche, s’avère inégalement inspirée, qui mêle le meilleur (Elisa Cegani, Nerio Bernardi) et le pire (Luisella Boni, belle et inexistante, Dario Michaelis, beau et inconsistant, Walter Chiari, d’autant plus insupportable que doublé – quelle idée aussi – par Robert Lamoureux, à ce prix autant prendre l’original…). Nana revu et corrigé par Henri Jeanson et Christian-Jaque, ressemble beaucoup à son casting : hétéroclite, bigarré et un peu bancal. Mais pas nécessairement déshonorant pour autant, loin de là.


© Armel De Lorme / L’@ide-Mémoire, janvier 2019. Toute reproduction même partielle interdite, sauf autorisation écrite des auteur et éditeur.


Photo : Martine Carol, Charles Boyer et Nicole Riche, René Chateau/La Mémoire du Cinéma, D.R.

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