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★★★★★ Monsieur Coccinelle


Dominique Bernard-Deschamps / 1938 / France

Avec : Pierre Larquey (Alfred Coccinelle), Jane Lory (Mélanie Coccinelle), Jeanne Provost (Tante Aurore), René Bergeron (Ernest Dutac), Yvette Lucas [= Yette Lucas] (Hortense Dupont), Marcel Pérès (Brutus Dupont), Fluet (le 2nd médecin), Robert Moor (le 1er médecin), Michèle Béryl (la vendeuse de cigares), Robert Pizani (Illusio, le magicien), Lucien Suire (le percepteur), Vivette Galy (Rosalie, la bonne), Henri Vilbert (Émile, le patron du café), René Navarre (un joueur de billard), Léon Larive (un joueur de billard), André Numès Fils (un joueur de billard), René Blancard (Presto), Titys (le joueur de piston), Raymond Narlay (l’entrepreneur de la maison Toudoux), Georges Marceau (le serveur de restaurant), Fernand Blot (un fournisseur ?), Jean Diener (un fournisseur ?), Harry-Max, Robert Ralphy.


« Oh ! Le mari qui avait tué sa femme vient d’être acquitté. Enfin : voilà un progrès social ! ».


Fable étonnante, d’une liberté de ton totale, conjuguant du début à la fin subversion, vachardise et poésie pure et qui fait, en dépit de trois ou quatre séances d’une grande maladresse, penser au meilleur du cinéma de René Clair (cf. le « chœur des fournisseurs », à la toute fin), sans le manichéisme ou le syndrome du système un peu trop rodé qui vont parfois avec. Quitte à miser en plein sur les comparaisons, on est peut-être encore ici plus près de Capra que de l’auteur du Million ou de Quatorze juillet. À la fois producteur, réalisateur, scénariste et dialoguiste (ce qui peut expliquer en partie le sentiment de liberté extraordinaire, même pour l’époque, évoqué plus haut), Bernard-Deschamps fait montre, à l’égard de ses personnages, fussent-ils les moins défendables, d’un absolu respect et, dans le même temps, d’un amour débordant. Autoritaire, avaricieuse, bienpiensante, hypocrite, Mélanie Coccinelle apparaît bien un concentré de ce que la petite bourgeoisie peut comporter de pire. Sa grande chance, outre le fait qu’elle soit interprétée par une Jane Lory en très grande forme, tient au fait que le personnage ne verse jamais dans la caricature. On pourrait en dire tout autant de la charcutière cupide (décoiffante Yette Lucas), de son mari borné (surépatant Marcel Pérès), du cafetier âpre au gain (étonnant Vilbert), de la bonniche hébétée (inattendue Vivette Galy), du colonial misanthrope qui n’en a pas moins tout compris à la manière dont va le monde fonctionnement (incroyable Bergeron)… Tenant tranquillement tête à ces empêcheurs de savoureux le bonheur, quotidien ou exceptionnel, en rond, pas dupe une seconde des vilenies des uns et calculs des autres, le bonhomme Larquey effectue ici, sur la durée, une de ses compositions les plus magistrales, mais, magistral, il l’était déjà, trois ans plus tôt, dans La Marmaille, du même Bernard-Deschamps (1935). Et que dire de l’extraordinaire Robert Pizani, semblant droit sorti, comme Paul Vecchiali le fait si justement remarquer, du Million ? De Jeanne Provost, immense comédienne de théâtre depuis l’aube de la Grande Guerre, mais que le Septième Art aura en définitive – sauf ici – utilisée bien peu, et bien mal, et qui accomplit ici sa prestation cinématographique la plus parfaite ? Vecchiali, toujours lui, évoque à son propos un personnage anticipant sur les héroïnes mûrissantes de Jacques Demy. À la voir troquer, en l’espace de quelques minutes, sa stricte robe noire et sa sage coiffe de vierge prolongée pour une robe blanche délicieusement rétro, une capeline ajourée de dentelle et une ombrelle à manche de nacre, on ne peut, effectivement, que penser aux rôles encore à écrire d’Élina Labourdette dans Lola, d’Anne Vernon ou de Mireille Perrey dans Les Parapluies de Cherbourg. L’autre grande force, mais non la moindre, de Monsieur Coccinelle est le sentiment de « hold-up » permanent pratiqué par Bernard-Deschamps, réalisateur et scénariste. Convoquant les genres les plus divers, il les transcende les uns après les autres. Misant en plein sur un sens aigu de l’observation, il contrebalance son implacable lucidité par une poésie égale en proportions, sans que l’une n’altère (ou n’annule) l’autre. Feignant par moments le réalisme pur et dur, il signe en contrepartie l’une des œuvres les plus éminemment oniriques jamais tournées en France au cours des dix premières années du parlant. Mieux, il semble, à la faveur de ce film méconnu, rarement réédité, poser les jalons d’un cinéma de la dialectique tel que Paul Vecchiali (oui, encore et toujours) n’aura de cesse, dès les années 1960, d’en définir les contours. Croit-il vraiment à la « résurrection » de Tante Aurore, au retour inopiné d’Illusio, au revirement final d’une foule jusqu'alors déchaînée ? Peu importe, dans la mesure où, dès les premières séquences, le spectateur est en mesure de comprendre qu’il se situe dans une forme de monde parallèle, où le fantastique peut prendre, à n’importe quel moment, le pas sur le quotidien. Ou l’inverse. Le calme revenu, les vieux amoureux partis à bord de leur roulotte et les charcutiers repartis vers leur charcuterie, Madame saura rappeler à bon escient à Monsieur, que la routine est déjà là, prête à reprendre ses droits. « Demain, le bureau ! ». Sans altérer d’un iota la morale, si belle, si simple, dégagée par l’illusionniste une minute et demie auparavant : « Qu’est la vie, la triste vie, sans un rayon de fantaisie ? (…) Vous dit adieu la fantaisie, je vais reprendre mon chemin, mon cœur près de son cœur et ma main dans sa main, avec celle que j’ai choisie. Car pour tous les amants, l’amour est fantaisie, car la vie, c’est la fantaisie. »


© Armel De Lorme / L’@ide-Mémoire, juillet 2019. Toute reproduction même partielle interdite, sauf autorisation expresse écrite des auteur et éditeur.


Photo : Jane Lory, René Chateau/La Mémoire du cinéma, D.R.

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