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★★★★☆ L'Affaire du Collier de la reine


Marcel L'Herbier & Jean Dréville / 1945 / France


Avec : Viviane Romance (la comtesse Jeanne de La Motte-Valois), Maurice Escande (le prince-cardinal Louis de Rohan), Jacques Dacqmine (le chevalier Louis Réteau de Villette), Jean Hébey (le roi Louis XVI), Michel Salina (le comte Nicolas de La Motte), Pierre Bertin (l’abbé Loth), Pierre Palau (le bijoutier Boehmer), Pierre Dux (Cagliostro), Marion Dorian (la reine Marie-Antoinette), Paul Amiot (Me Doillot, l’avocat de Jeanne), Marcel Delaître (Me Target, l’avocat du cardinal de Rohan), Hélène Bellanger (la comtesse de Polignac), Florence Lynn (la princesse de Lamballe), Pierre Magnier (le procureur Joly de Fleury), Robert Dartois (M. de Soubise), Georges Saint-Pol [= Georges Saint-Paul] (le bijoutier Bassenge), André Philip (Deschamps, le domestique), André Varennes (le premier président d’Aligre), Marcel Vibert (l’avocat général Séguier), André Wasley (le bailli de Suffren), Marcel Lagrange (le duc de Villeroi), Monique Cassin (la fille Oliva [= Nicole Leguay]), Jean-Louis Allibert (Camille Desmoulins), Jean Morel (le baron de Breteuil), Roger Vincent (l’abbé de Vermond), Jacques François (le comte d’Artois), Georges Paulais (l’huissier de justice), Lucas Gridoux (le 2ème membre du Parlement), Yvonne Yma (Mme Hubert), Pierre Labry (Hubert, le préposé au greffe de la Conciergerie), Luc Andrieux (un geôlier), Philippe Olive (Me Breton), Max Dejean (un aide du bourreau), Frank Maurice (?) (un aide du bourreau), Jean-Pierre Mocky (un page de Marie-Antoinette), Jacques Berlioz, Chukry-Bey, Denis Daniel (?), Philippe Lemaire, Johny Marchand, Paul Ménager, Marcel Rouzé.


Lorsque le vétéran Marcel L’Herbier met en chantier L’Affaire du Collier de la reine, au mois d’octobre 1945, il obéit à un cahier des charges doublement contraignant : relancer la carrière de Viviane Romance, un peu mise à mal à la Libération, et permettre à la productrice Élisabeth Soutzo d’endosser, sous le nom d’emprunt – déjà utilisé pour le Volpone de Maurice Tourneur – de Marion Dorian, le rôle de Marie-Antoinette. Il l’aurait confié à Cécile Sorel que le résultat n’eût pas été pire. Mais comme c’est Élisabeth-Marion qui produisait le film, il dut bien faire avec. Académique mais fluide, élégant mais point glacé, l’ensemble est porté, pour le coup, par un souffle bien réel du début à la fin, sans que l’on sache très bien ce qui incombe à L’Herbier cinéaste, tombé malade – de façon plus ou moins opportune – durant le tournage, ou à son suppléant Jean Dréville. On sait que Romance, peu soucieuse de passer la main, et dont l’étoile déclinera d’ailleurs dès l’année suivante, se montra particulièrement odieuse durant les prises de vues, et que le fait d’avoir à diriger « Marion Dorian » – de très loin la pire Marie-Antoinette de l’Histoire du Cinéma, toutes époques et tous pays confondus – eût justifié en soi tous les arrêts-maladie, diplomatiques ou non, du monde. La beauté des éclairages comme celle des costumes, l’efficacité du montage, ne permettent pas moins d’atténuer, sinon de gommer complètement, les défauts les plus apparents de l’ouvrage.


Viviane Romance n’est pas (et n'aura jamais été) l’actrice du siècle, mais elle se tire de l’affaire avec honneur et probité, bonne technicienne dans la durée, énergique de bout en bout, absolument bluffante sur la dernière ligne droite. L’absolue nullité de Dorian, les effets de jabots répétés de Maurice Escande, qui n’en revient pas de composer un si fringant prince-cardinal et semble rire – un peu plus que de raison – de se voir si beau en son miroir, l’absence de charisme dommageable de Jacques Dacqmine/Réteau de Villette, jeune premier approximatif (pour ne pas dire raté) aux paupières globuleuses et au regard vitreux, là où il aurait fallu de toute évidence Georges Marchal ou Gérard Philipe, le fait que Jean Hébey/Louis XVI ait toujours un peu l’air de sortir d’une arrière-boutique mal éclairée du Sentier, desservent bien un peu (beaucoup) le tout, mais les comparses sont là, eux judicieusement choisis, et qui parviennent par leur présence conjuguée à conférer à l’ensemble un semblant de crédibilité : Michel Salina franchit haut la main l’examen de passage séparant les semi-utilités des quasi-seconds rôles, Pierre Dux, Cagliostro inattendu et plaisant, s’en tire avec les honneurs requis et Pierre Palau – curieusement omis au générique de la réédition DVD – compose un Boehmer des plus pittoresques sans jamais verser dans l’écueil de la caricature facile, tandis que Pierre Bertin semble se livrer de manière décomplexée – ce qui lui réussit plutôt bien – à une parodie jubilatoire de Jean Tissier mise au service d’un abbé de Cour au petit pied, mi-défroqué, mi-licencieux. Pour faire bon poids, bonne mesure, et obtenir ainsi une quatrième et dernière pierre (avec on sans majuscule) angulaire, il faudrait encore ajouter aux noms des trois « Pierre » précédemment cités celui de l’étonnant Pierre Labry, ex-abonné, tout au long des années 1930, aux brutes tantôt crétines, tantôt bornées, tantôt inquiétantes, et parfois même les trois à la fois. Une séquence à peine lui suffit pour personnifier avec adresse et probité le sieur Hubert – greffier à la Conciergerie de son état – ne sachant pas très bien comment annoncer à Jeanne de La Motte que non elle n’a pas été acquittée par le Parlement comme elle s’y attendait, et que la catastrophe (flagellation, flétrissure, emprisonnement à vie, etc.) s’annonce imminente. Le tout avoué péniblement, l’air penaud, la tête baissée, le regard dirigé vers une paire de pieds tournés vers l’intérieur : du grand art. Mais on savait, depuis Cœur de Lilas, Les Croix de bois, Le Roman d'un tricheur, L'Alibi, La Maison du Maltais ou Les Disparus de St. Agil, à quel point ce troisième couteau formidable et émérite était capable de poser et de marquer d’une empreinte durable – le plus souvent en un temps record – des silhouettes bien moins caricaturales et bien plus subtiles que ce que son physique massif et son air volontiers buté pouvaient laisser présager. De même, il suffit d’apparitions discrètes – voire dans certains cas furtives – à Pierre Magnier, Paul Amiot, Marcel Delaître, Lucas Gridoux, Jean-Louis Allbert, Robert Dartois, André Varennes ou Yvonne Yma pour rappeler à quel point le cinéma français pu longtemps se prévaloir de ces artistes prétendument de second plan, formés pour la majeure partie d’entre eux sur les planches et aptes à conférer, en une minute chrono de présence à l’écran, un cachet inoubliable au personnage le plus anecdotique. Parfaitement à leur aise dans les ors d’un Versailles de studio comme sur les bancs d’un parlement reconstitué ou dans les clairs-obscurs d’une geôle au petit matin filmée comme un sépulcre, force est de reconnaître qu’ils se montrent tous plus épatants les uns que les autres, et que le film, déjà plutôt classieux en soi, leur doit collectivement beaucoup.


© Armel De Lorme / L’@ide-Mémoire, 2016-2018.


Version remaniée d'un texte original extrait de L'Encyclopédie des Longs-Métrages français 1929-1979 - Suppléments A~D # 1 (Armel De Lorme, L'@ide-Mémoire, 2016). Toute reproduction même partielle interdite, sauf autorisation écrite des auteur et éditeur.


Photo : Viviane Romance interprétant le rôle de Jeanne de La Motte, René Chateau/La Mémoire du Cinéma, D.R.

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